13/08/24
Le 25 juillet 2024, la loi portant modification de la loi modifiée du 21 septembre 2006 sur le bail à usage d’habitation et modifiant certaines dispositions du Code (la « Loi de 2006 »), a été publiée au Journal officiel du Grand-Duché de Luxembourg1. Le projet de loi initial n°7642 (le « Projet »), déposé le 31 juillet 2020 par l’ancien ministre du Logement, Henri Kox, et repris par le nouveau gouvernement, a été adopté par la Chambre des Députés avec d’importantes modifications.
Si le retrait du Projet avait été envisagé, il a finalement été adopté compte tenu de la situation particulièrement saturée du marché locatif et de la nécessité pour le législateur d’intervenir2.
La volonté de l’ancienne législature était d’apporter une plus grande protection du locataire à travers une plus grande transparence légale dans la relation locataire-bailleur et de favoriser l’accès au logement afin de remédier, à nouveau, à la situation du marché de l’immobilier tendue notamment en raison des taux d’intérêt élevés3.
Pour atteindre ces objectifs, des mesures telles que l’encadrement des loyers excessifs, la précision et le renforcement des dispositions relatives au capital investi ou la réduction de la charge financière en début de bail (liée à la garantie locative et aux frais d’agence) ont été discutées, tout en assurant un retour sur investissement raisonnable pour les bailleurs.
Les dispositions initiales du Projet ont finalement été adoptées, mais seulement en partie. Les autres amendements ont été mis en attente pour être examinés ultérieurement. Cette décision est le résultat de nombreuses discussions, alors qu’il s’imposait de ne maintenir « dans le texte réagencé que les modifications figurant dans la version initiale du projet de loi, qui ont été en grande majorité approuvées par les milieux concernés »4.
Le projet initial prévoyait une révision complète du mécanisme de plafonnement des loyers dans le but de protéger les locataires contre les loyers excessifs.
Ce mécanisme nécessitait notamment que tous les contrats de bail soient écrits et précisent le montant du capital investi, permettant ainsi aux locataires de formuler des réclamations pour faire appliquer les dispositions en matière de fixation des loyers, le montant du bail étant déterminé en fonction du capital investi5.
La Loi de 2006 prévoyait qu’un logement à usage d’habitation ne pouvait générer un rendement locatif supérieur à 5% (réévalué6 et décoté7) du capital investi8. Le projet initial visait à réduire ce taux à 3,5% du capital investi réévalué et décoté et à 3% pour les logements ne disposant que d’un certificat de performance énergétique des catégories F, G, H et I, afin d’encourager leur rénovation9.
Cependant, cette réforme a été retirée du Projet par le nouveau gouvernement entré en fonction à la suite des élections du 8 octobre 202410. Le rendement locatif maximum de 5% du capital investi est donc maintenu pour tous les logements indépendamment de leur classe énergétique, la mention du capital investi dans le bail n’est plus obligatoire, mais l’obligation de conclure des baux par écrit est conservée.
Le Projet réglemente également les colocations, c’est-à-dire les logements dans lesquels plusieurs personnes cohabitent. Désormais, des dispositions spéciales impératives s’appliquent à la colocation11. En effet, lorsqu’il n’est prévu aucune répartition entre les colocataires en ce qui concerne les obligations pécuniaires, la répartition sera faite à parts égales12 . Ensuite, les obligations des colocataires en cas de départ anticipé sont prévues13. Enfin, il est dorénavant également autorisé de conclure un contrat de colocation dans le cas où le bailleur habite dans le même logement14.
Ces éléments seront formalisés dans un pacte de colocation signé au plus tard au moment de la signature du contrat de bail15.
Le Projet, tel que voté, inclut les autres modifications suivantes :
Répartition des frais d’agence
La Loi de 2006 prévoit désormais que le paiement d’éventuels frais d’agence est réparti à parts égales entre le bailleur et le locataire.16 Cette mesure, bien que protectrice pour les locataires, a été critiquée car elle pourrait augmenter le risque de conditions désavantageuses ou de contrats invalides en raison de l'absence d'intermédiaires professionnels.1718
Limitation biennale des augmentations de loyer
La Loi de 2006 prévoyait initialement la généralisation du principe des « tiers annuels », qui aurait permis une adaptation des loyers en cours lors d’un dépassement de 10% du prix du loyer. Cette disposition obligeait, pour les hausses du prix du loyer de plus de 10%, à être réparties sur trois années. Cette disposition a finalement été remplacée dans le texte de la Loi de 2006 tel qu’adopté par une limite biennale d’augmentation des loyers à 10%. Autrement dit, les augmentations de loyer, qui ne peuvent être que biennales en l’absence de changement de locataire, ne pourront pas excéder 10% du loyer actuel19. Cette disposition constitue une avancée certaine dans l’encadrement des loyers, mais reste moins favorable aux locataires que la règle des tiers annuels telle que formulée dans le Projet.
Suppression de la notion de logement non-standard
La notion de logement non-standard, également connue sous l’appellation de logements « de luxe », prévue à l’article 6 de la Loi de 2006, a également été supprimée de la Loi de 2006. Cette suppression représente une protection supplémentaire pour les locataires, car elle vise à mettre fin à certaines pratiques qui visaient à contourner les dispositions protectrices des locataires concernant la fixation du loyer20, l’absence de prorogation légale des baux21 et l’encadrement de la garantie et des charges locatives22.
Cette notion de logement non-standard avait déjà remplacé la notion de logement « de luxe » dans la Loi de 2006, en raison des difficultés pratiques liées à la qualification des logements. Toutefois, la suppression de cette notion n’a pas suffi à atteindre les objectifs de sécurité juridique et de protection des locataires. En effet, il a été constaté que de nombreux baux se référaient aux dispositions relatives aux logements non-standard, alors même qu’il semblait évident que les logements en question ne remplissaient pas les critères requis, créant ainsi une insécurité juridique.
Pour mémoire, les locataires des logements non-standards ne bénéficiaient pas de la prorogation légale des baux23. En d’autres termes, les propriétaires pouvaient refuser de reconduire les baux sans devoir justifier (i) d’un besoin personnel du logement (pour eux-mêmes, un parent ou allié jusqu’au troisième degré), (ii) d’un manquement du locataire à ses obligations ou (ii) d’un motif grave et légitime à établir par le bailleur. Avec la suppression de la notion de logement non-standard, les propriétaires désirant s'opposer à la prorogation d'un bail devront désormais justifier leur refus en invoquant l'un de ces trois motifs.
Si cette disposition protègera sans aucun doute les locataires des contrats conclus après l’entrée en vigueur de la Loi de 2006, une incertitude persiste quant aux contrats établis avant cette date et qui sont toujours en vigueur.
La suppression de la notion de logement non-standard reflète en réalité la volonté de refondre les dispositions relatives à la révision des loyers dans une loi ultérieure, afin de prendre le temps de se concerter avec toutes les parties prenantes, représentantes des investisseurs et des locataires24. Il conviendra donc d’attendre les propositions de la coalition 2023-2028 pour connaître les règles définitives en matière de fixation des loyers, qui pourraient être plus favorables aux investisseurs.
Prorogation légale des baux
Tous les baux d'habitation sont désormais prorogés pour une durée indéterminée25. Cet apport de la Loi de 2006 a certes été salué, mais aussi vivement critiqué en ce qu’il créé une insécurité juridique pour les propriétaires, pour les locataires sortants qui devront mieux anticiper leur sortie, et enfin car cela peut être qualifié comme contraire au principe même de la liberté contractuelle26.
Réduction de la garantie locative
La réduction du montant légal maximum de la garantie locative à deux mois de loyer au lieu de trois constitue une avancée majeure apportée par la Loi de 2006 en matière de protection des locataires27. En effet, deux mois de loyer sont désormais jugés suffisants pour couvrir les obligations du locataire découlant du contrat de bail. De plus, une procédure simplifiée a été mise en place pour la récupération de la garantie locative, incluant des conditions claires pour la restitution de cette garantie ainsi que des délais clairs et précis pour son application. Ainsi, 50% de la garantie doivent être remboursés dans le mois suivant la restitution des clés, à condition qu’aucune dégradation n’ait été constatée lors de l’état des lieux de sortie. Les 50% restants doivent être versés dans le mois suivant la réception des décomptes finaux relatifs aux charges locatives. En cas de non-respect de cette procédure, des sanctions sont prévues : après une mise en demeure par lettre recommandée adressée par le locataire au propriétaire, la somme due est majorée de 10% du loyer mensuel en principal, pour chaque mois de retard entamé28.
Renforcement de la commission des loyers
La Loi de 2006 renforce le rôle de la commission des loyers en instaurant différentes dispositions telles que l’instauration d’une procédure simplifiée pour faciliter la saisie de la commission par les parties en cas de litige sur le montant du loyer ou sur le montant du capital investi29.
Les modifications apportées aux articles 12, paragraphe 1er (suppression de la phrase prévoyant qu’un bail verbal est présumé conclu à durée indéterminée), et 31 (point 1° modifiant l’article 1714 du Code civil : dérogation à prévoir pour tout bail à usage d’habitation, lequel devra à l’avenir être établi par écrit) de la Loi de 2006 ne sont applicables qu’aux baux à usage d’habitation conclus après l’entrée en vigueur de la loi du 23 juillet 2024, c’est-à-dire aux baux futurs.
Le texte de Loi de 2006, en vigueur avant la loi du 23 juillet 2024, relatif à l’article 5 (garantie locative limitée à trois mois de loyer, aucune obligation d’un bail écrit), à l’article 12, paragraphe 1er, deuxième phrase (« En l’absence d’un bail écrit, il est présumé à durée indéterminée »), ainsi qu’à l’article 31, continueront à s’appliquer aux baux verbaux et aux contrats de bail à usage d’habitation conclus avant la date d’entrée en vigueur de la loi du 23 juillet 2024, c’est-à-dire aux baux en cours.
Le processus législatif a démontré une volonté de fournir un nombre suffisant de logements abordables au Grand-Duché de Luxembourg, visant à concrétiser l’émergence d’un « droit au logement pour tous ». Cette intention a été mise en évidence par l’ancien ministre du Logement, Monsieur Henri Kox, en juillet 2023. L’efficacité de cette stratégie pourra être évaluée dans les années à venir.
La révision des loyers a été différée à une réforme future. Il est donc important de suivre les évolutions futures afin de comprendre le régime qui sera finalement appliqué aux baux d'habitation, compte tenu de la saturation actuelle du marché immobilier luxembourgeois.
[1] Loi du 23 juillet 2024 portant modification :
1° de la loi modifiée du 21 septembre 2006 sur le bail à usage d’habitation et modifiant certaines dispositions du Code civil et
2° de l’article 1714 du Code civil.
[2] Résumé du dossier concernant le projet de loi n°7642, page 1.
[3] Ibidem.
[4] Deuxième avis complémentaire du Conseil d’Etat, 25 juin 2024
[5] Article 3 et 4 de la Loi de 2006.
[6] Le capital investi est à réévaluer en fonction de l’inflation constatée (sur base du tableau des coefficients de réévaluation prévus par la loi concernant l’impôt sur le revenu), en tenant compte des travaux d’amélioration apportés au logement depuis sa construction (respectivement depuis la date de son acquisition).
[7] Le capital investi est décoté de 2 % par période de deux années supplémentaires pour tenir compte de la vétusté du logement si sa construction remonte à quinze ans ou plus, à moins que le bailleur ne prouve avoir investi des frais équivalents dans l’entretien ou la réparation du logement.
[8] Premier paragraphe de l’article 3 de la Loi de 2006.
[9] Le loyer mensuel maximal sera donc calculé sur base de la formule suivante : (capital investi x 3,5%)/12.
[10] Résumé du dossier concernant le projet de loi n°7642, page 1.
[11] Article 2bis, paragraphe 3, de la Loi de 2006.
[12] Article 2ter (4) de la Loi de 2006.
[13] Article 2ter et 2quinquies de la Loi de 2006.
[14] Article 2bis, dernier paragraphe, de la Loi de 2006.
[15] Article 2bis, 1e paragraphe et 2ter de la Loi de 2006.
[16] Article 5 (1), dernier paragraphe de la Loi de 2006.
[17] Avis de la Chambre de Commerce, 5 février 2021.
[18] Voir les nouveaux points 1° à 8° de l’article 5 de la Loi de 2006.
[19] Article 3 (5), dernier alinéa de la Loi de 2006.
[20] Article 3 de la Loi de 2006.
[21] Article 12 (2) de la Loi de 2006.
[22] Article 5 de la Loi de 2006.
[23] Article 12 (2) de la Loi de 2006.
[24] Amendements gouvernementaux 7642/21.
[25] Article 12 (1) de la Loi de 2006.
[26] Avis de la chambre de commerce, 5 février 2021.
[27] Article 5 (2) de la Loi de 2006.
[28] Article 5 (2bis) de la Loi de 2006.
[29] Article 3, 5 et 9 de la Loi de 2006.
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